L’Institut
Entretien avec Claudio Chiacchiari : quand la musique inspire l’élasticité managériale et le leadership bancaire
M. Chiacchiari, vous êtes chargé de cours à l’ISFB dans le cadre du certificat ISFB Management Bancaire & Adaptabilité où vous enseignez l’élasticité managériale à partir de l’élasticité musicale. Qu’entendez-vous par élasticité et que transmettez-vous aux participants de votre module « Art et inspiration »?
J’entends par élasticité la capacité à étendre son comportement, sa réflexion ou son rapport aux normes pour répondre de façon adaptée à une situation ou à autrui. Durant le module, les participants travaillent l’élasticité de leur rapport au temps et de leur posture managériale. J’utilise des exemples d’entreprises et des extraits musicaux joués au piano. La moitié du temps est ensuite consacrée à des activités liées au contexte des participants.
Pour le rapport au temps, les participants travaillent avec des lois musicales comme l’équilibre et l’alternance entre répétition et variation. Sachant qu’en musique comme dans l’entreprise, trop de répétition abrutit et trop de variation éreinte. Ils abordent aussi la notion musicale de « rubato » qui signifie temps volé. Le rubato consiste à alterner entre ralentir et accélérer un peu. Le rubato rend la pulsation flexible et la musique vivante. Mais il n’est pas écrit dans la partition. Il faut donc faire preuve d’élasticité pour connaître de façon approfondie la partition et les liens entre ses parties afin d’oser interpréter ce qui n’est pas écrit. Par analogie, les participants proposent une action réalisable où ils considèrent important de « perdre du temps » et expliquent ce qu’ils espèrent en retirer (temps rendu). Une proposition ? Organiser des réunions d’équipe en marchant à l’extérieur.
Pour la posture managériale, les participants analysent d’abord un succès qu’ils ont eu et déterminent s’ils ont obtenu ce succès avec une approche de manager orienté tâches (le chef qui dit « jouez plus fort »), avec une approche de leader orienté personnes (le chef qui inspire les musiciens : « jouez ce passage comme une île déserte ») ou avec une approche de compositeur qui met en place les conditions d’un travail d’équipe efficace (en écrivant une partition). Enfin, les participants analysent une situation d’échec qu’ils ont vécue en évaluant les éléments de cette situation en termes de manque ou d’excès d’autonomie et de responsabilité notamment. Adopter la posture managériale adéquate et intégrer ses échecs comme une matière première pour progresser demande de l’élasticité. C’est ce que font les musiciens professionnels toute la journée.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours académique et professionnel ?
J’ai une double formation de géologue et de musicien. Mon travail de diplôme en Sciences de la terre était consacré à la mesure de la radioactivité dans la région du plateau du Trient en Valais. Un travail de trente mois dont la moitié en laboratoire, passés à broyer et à liquéfier des granites à l’acide, à séparer l’uranium par filtration puis à mesurer l’échantillon par spectrométrie alpha. La rigueur et la méticulosité de ce travail m’ont appris une chose précieuse que j’applique encore dans mon activité de formateur : la méthode importe plus que le résultat. J’accorde la plus grande attention aux méthodes que je développe, car leur qualité déterminera la valeur du résultat.
Je me suis ensuite engagé au CICR comme ingénieur sanitaire au Yemen et au Sri-Lanka où je gérais des projets d’approvisionnement et d’assainissement des eaux. Puis j’ai enseigné la géographie et les math dans une école privée. A mon retour, j’ai aussi repris mes études professionnelles de piano, obtenu le diplôme de piano de la Société Suisse de Pédagogie musicale, et je me suis spécialisé dans l’analyse de la musique avec le compositeur Eric Gaudibert. A force d’analyser les partitions des grands compositeurs, j’ai pressenti que la musique, qui est aux arts ce que les mathématiques sont aux sciences, l’art le plus abstrait et le plus émouvant, le plus apte à dégager des lois et des principes d’organisation, pourrait nous aider à comprendre la créativité humaine comme les mathématiques nous aident à comprendre l’organisation de la nature.
En 2004, j’ai créé mon entreprise individuelle Saisir le temps® – L’intelligence musicale pour transmettre aux cadres des méthodes de créativité musicale utiles pour bien composer avec une équipe et dans les situations complexes. Depuis, j’ai publié une vingtaine d’articles sur la créativité dans l’entreprise, organisé des formations et fourni du conseil à une centaine d’organisations en Suisse, France, Belgique et Roumanie, enseigné la créativité du management et des équipes pour la formation continue des cadres aux Universités de Genève, Fribourg et Louvain. Sur le plan théorique, j’ai défini une équation de la créativité, posé les bases d’un modèle global de la créativité basé sur le postulat « est créatif ce qui combine et alterne l’intégration des contraintes et l’invention ». Pour l’exercer, j’ai créé un jeu logiciel de composition musicale qui mesure la créativité des participants. Plus de 2’000 cadres y ont déjà joué.
Quels sont, selon vous, les principaux enjeux de la créativité dans le domaine du Management Bancaire aujourd’hui ?
Sur la base de mon enseignement à l’ISFB notamment, j’en vois au-moins trois.
- Renforcer le travail en équipe (une approche de compositeur)
Lorsque les participants expliquent un succès managérial, plus de la moitié décrivent une approche de manager, transactionnelle (action-récompense), centrée sur l’amélioration des tâches et la pose d’objectifs en vue d’atteindre un résultat. Très peu utilisent l’approche des compositeurs. Composer, c’est par exemple organiser une réunion de façon méticuleuse, avec des timing, des questions, des rôles, une distribution de la parole, l’alternance d’activités seuls et ensemble qui permettront à une équipe d’évaluer, débattre, choisir et implémenter efficacement. - Donner confiance (une approche de leader)
A l’heure où les algorithmes peuvent acheter et vendre en moins d’une milliseconde, et où l’intelligence artificielle peut fournir des prévisions financières fiables, a-t-on encore besoin de banquiers humains ? Il y a pourtant au moins trois choses que la machine ne sait pas faire : donner confiance, avoir confiance, faire confiance. La confiance, clé de voûte de l’économie libérale, est et restera le fruit d’une relation humaine. Elle se construit avec du temps consacré aux clients, avec une écoute et une connaissance approfondie, et avec des compétences (que les formations de l’ISFB contribuent à développer). - Avoir un but (une approche combinée de manager et de leader)
Les buts d’une équipe, d’un projet, d’un service, en termes de contribution positive humaine et sociale, apparaissent peu dans le discours des participants. Comment travailler à un but ? En le formulant. En distinguant le moyen quantitatif, gagner de l’argent, et le but qualitatif, le pourquoi. En trouvant l’équilibre entre un management centré sur le moyen et un leadership centré sur le but. C’est important. Car avoir un but non seulement inspire et donne du sens, mais permet d’affiner une stratégie, de trancher des dilemmes de façon salvatrice, de renforcer la cohérence, l’adhésion et l’engagement.
2025, Claudio Chiacchiari (tous droits réservés)
Claudio Chiacchiari
Fondateur de Saisir le temps® – L’intelligence musicale et chargé de cours ISFB
“Adopter la posture managériale adéquate et intégrer ses échecs comme une matière première pour progresser demande de l’élasticité. C’est ce que font les musiciens professionnels toute la journée.”
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